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26/11/2020 Le Think Tank, Les commissions, Analyse

Assemblées Lagardère SCA & Unibail Rodamco Westfield : deux cas d’école

Lagardère SCA & Unibail Rodamco Westfield : la place de Paris a offert, en 2020 aux observateurs, deux cas de comportement actionnarial dont on souhaiterait qu'ils soient des sujets enseignés dans les écoles de management et de formation à la Gouvernance tant ils sont riches d'enseignements. Explications d'Hubert Mathet, responsable du groupe de travail Gouvernance de la commission Analyse extra-financière de la SFAF.

Lagardère SCA et URW, chacun dans leur genre, présentent beaucoup de similitudes quant à la volonté d'un certain nombre d'actionnaires minoritaires d'influer significativement sur leur Gouvernance. Les requêtes de ces derniers présentées en Assemblée générale étaient justifiées sur le fond, leur mise en œuvre radicalement différente dans la forme.
Un peu à la façon de « on refait le match » et comme dans les supports médiatiques qui servent aux parieurs à construire leur opinion, analysons ici le « papier » des candidats à la prise de pouvoir avant « l'épreuve » des Assemblées générales auxquelles ils ont présenté leurs résolutions.

D'un côté, Amber Capital, dont la stratégie dans le cas Lagardère SCA, consiste à demander aux actionnaires commanditaires de révoquer la majeure partie du Conseil de surveillance et à présenter aux suffrages une équipe « ad hoc » regroupée autour d'un potentiel Président bien connu de la Place.
Le fonds faisait depuis longtemps campagne contre le management exécutif en place sur l'absence de cohérence dans la stratégie de l'entreprise, la destruction de valeur associée et sur une remise en question profonde de l'organisation gouvernementale autour de la commandite.
Il propose une équipe de personnalités expérimentées, pas forcément issues du secteur en question.
L'ensemble des proxies sont alors favorables aux résolutions proposées par Amber Capital. Il y a cependant en arrière-plan d'autres actionnaires significatifs dont les intérêts ne sont pas obligatoirement alignés au moment de l'AG de mai 2020 (Fonds du Qatar, Vivendi et Arnaud Lagardère) et des grands enjeux de pouvoir liés à la presse française qui ne laissent évidemment pas le politique indifférent.

De l'autre, Aermont Capital, associé pour la circonstance à Xavier Niel et Susana Gallardo, ces derniers intervenant à titre personnel, affiche une stratégie « terrain » qui se concentre sur l'augmentation de capital à venir d'URW et les écarts de valorisation qui en résultent, ainsi que sur la nécessité de faire bouger l'organisation du Conseil de surveillance en élisant trois nouveaux membres (sans demander de révocation), et cela sans afficher ouvertement la volonté de faire table rase du passé.
Le consortium fait campagne principalement sur le mal fondé de l'augmentation de capital et son expertise professionnelle du secteur immobilier commercial.
L'ensemble des proxies sont en faveur de l'augmentation de capital proposée par le management d'URW (principe de précaution quand on n'est pas vraiment de la partie) et très nuancés sur les nouvelles nominations au Conseil de surveillance proposées par Aermont. Le capital d'URW est 100 % free float, à quelques institutionnels près.

À la lecture de ces lignes, et en ayant en tête un peu d'historique sur les circonstances qui amènent ces actionnaires à avoir en Assemblée générale un comportement qualifié « d'activiste », Amber Capital semblait a priori bien mieux armé que le concert Aermont pour convaincre les actionnaires de voter dans leur sens (soutien essentiellement des proxies).
Évidemment, ces deux fonds avaient vu l'ensemble de leurs propositions rejetées par les Conseils de surveillance des émetteurs respectifs.

Résultat des courses : l'ensemble des résolutions d'Amber Capital sont rejetées. À l'inverse, Aermont obtient intégralement ce qu'il souhaitait avec le rejet de l'augmentation de capital et l'élection au Conseil de surveillance d'URW des trois candidats présentés. 8 jours après l'AGE du 10 novembre 2020, le Président du Directoire d'URW est remplacé, l'animateur d'Aermont Capital (ex PDG d'Unibail de 1992 à 2006) devient Président du Conseil de surveillance et 5 membres du CS sur 9 démissionnent.
Par ailleurs, le Tribunal de Commerce de Paris a débouté Amber Capital, associé cette fois-ci à Vivendi dans leur tentative de demande de convocation d'une AGE de Lagardère SCA visant la nomination au Conseil de surveillance de quatre nouveaux membres.

Quelles leçons tirer en matière de Gouvernance de ces résultats qui ont chacun à leur manière surpris les observateurs ?
Sur le fond :

  • D'un point de vue philosophique, avoir les Fables de La Fontaine à portée de la main et les relire pour ne pas perdre de vue que, lorsqu'il est question du pouvoir, il est indispensable, pour anticiper l'avenir, d'identifier les forces en présence les mieux organisées : la commandite Lagardère SCA reste une forteresse « presque » imprenable, sauf à passer par le commandité et à y mettre les moyens financiers adéquats, ce qu'a fait Bernard Arnault, coupant ainsi l'herbe sous les pieds de Vivendi et Amber Capital.
  • Les recours contentieux peuvent se révéler de faux amis, surtout si les juges ont une vision très « traditionnelle », voire parcellaire, du comportement actionnarial, ce qui est le cas du Président du Tribunal de Commerce de Paris à l'encontre de Vivendi, Amber Capital et l'Adam. L'ordonnance du 14 octobre dernier a jugé la simple forme d'éléments de gouvernance extrêmement sensibles (fonctionnement des organes sociaux et renouvellement « anticipé » du gérant de la commandite) et non le fond qui aurait permis de renvoyer tout simplement l'affaire devant l'Assemblée générale extraordinaire des actionnaires, organe souverain en matière de Gouvernance des entreprises.
  • Bien organisée, la démocratie actionnariale fonctionne encore. Un actionnaire minoritaire présentant des résolutions en assemblée générale, même tenue à huis clos, arrive à convaincre une majorité : Aermont a certainement trouvé des oreilles attentives parmi nombre d'actionnaires déstabilisés par le discours par nature négatif lié à l'augmentation de capital d'URW (mauvais choix du rachat de Westfield et dilution du capital arrivant au cours historiquement le plus bas).
  • Dans ces deux entreprises, le fonctionnement du Conseil de surveillance est très sérieusement mis en cause par ces mêmes actionnaires. Cet axe central de l'articulation de la Gouvernance de l'entreprise ne peut présenter une quelconque faiblesse face au management exécutif.

Sur la forme :

  • Quelles que soient les armes employées dans ce genre d'exercice, il faut qu'elles soient adaptées à la tactique choisie : que ce soit la tentative d'encerclement dans le cas d'Amber ou le commando dans le cas d'Aermont, il faut des munitions appropriées et en quantité.
  • Adapter les moyens financiers et/ou juridiques permettant de prendre le pouvoir sans que cela n'apparaisse comme un risque supplémentaire de déstabilisation de l'entreprise à un moment délicat de sa vie était assurément plus complexe dans le cas de Lagardère que de capitaliser sur l'affaiblissement du management d'URW.
  • Les agences de conseils en vote ne sont pas l'alpha et l'oméga de la pensée actionnariale institutionnelle et une campagne de terrain opportuniste et convaincue peut s'avérer extrêmement efficace.
  • Il y a dans l'histoire d'une entreprise des points d'usure du pouvoir (exécutif et/ou non exécutif) qui créent des failles ou l'actionnaire minoritaire peut intervenir avec un levier très significatif. Certains calendriers sont plus favorables que d'autres.

Dans un monde où les trains qui arrivent à l'heure n'intéressent pas grand monde, des exemples comme ceux-ci peuvent faire ou défaire une Place de marché. Tout doit donc être mis en œuvre pour que régulation et droit locaux tirent la charrue Gouvernance dans la même direction.

Au centre des points qui dysfonctionnent et sont systématiquement relatés avec force résonance, le management non exécutif quand il est faible. À cet égard, la représentativité des actionnaires par les administrateurs « indépendants » doit être améliorée par des mesures telles que l'implication au capital des entreprises où ils siègent, une limitation plus sévère dans le cumul des mandats et dans les possibilités de leur renouvellement.

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