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08/07/2025 Evaluation

Evaluation des entreprises : recherche sponsorisée, valeurs moyennes et valorisation des marchés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 21 mai dernier, le Cercle des analystes indépendants et la SFAF ont coorganisé une conférence sur l’évaluation au siège du Crédit Agricole à Montrouge. Trois tables-rondes et une keynote ont ouvert de nombreux et riches échanges entre les intervenants et les près de 50 personnes présentes dans l’auditorium pour l’après-midi.

Table-ronde « Le défi de CSRD : comment faire converger bonnes pratiques de communication et de valorisation financière ? »

Cette table-ronde, animée par Nicolas d’Hautefeuille, Global Head of Innovation & Strategic Advisory au Crédit Agricole CIB, a réuni Guillaume Castelbou, chef de projet sur les normes de durabilité de l’Autorité des Normes Comptables, Thomas Dilasser, Chief Rating Officer d’EthiFinance, Jacques Potdevin, président de JPA International, et Bruno Tesnière, président de XBRL France. Elle s’est déroulée sous la règle de Chatham House et ne peut donc faire l’objet d’un compte-rendu.

Keynote Virtu Financial

  • Des paiements de recherche en hausse
  • Vers la fin de l’unbundling…
  • … et le retour du financement par les fonds (et non par les sociétés de gestion)

La société Virtu Financial, représentée lors de la conférence par Yann Coffey, Commission Mangement, a obtenu 144 réponses à son sondage auprès d’Asset Managers internationaux. 40% des sondés gèrent plus de 50Mds$ et 25% sont des Asset Managers globaux.
La principale surprise vient des paiements de recherche qui sont en augmentation de 15% en moyenne. Le corporate access reste un facteur prédominant avec 28% du « wallet » de recherche qui y est alloué. Moins de 10% des gestions interrogées paient la recherche sur leurs fonds propres, (mais ce pourcentage monte à 56% en zone EMEA), alors qu’une grande majorité utilise des CSA (Commission Sharing Agreements). Il est à noter que 90% des sondés estiment qu’ils devraient pouvoir payer du corporate access à partir de commissions d’exécution.
Concernant l’exécution, les cinq premiers brokers reçoivent en moyenne 57% des commissions générées par l’AM, le top 10 en percevant quant à lui 70%. On peut ajouter qu’aujourd’hui, 70% des transactions se font au travers d’algorithmes.
Le premier sujet de l’intervention a concerné la fin progressive de l’unbundling (c’est à dire la séparation des rémunérations de recherche et d’exécution) en Europe.
Ce « rebundling » devient possible, permettant de payer globalement les services d’un intermédiaire financier, et est d’ores et déjà de retour au Royaume-Uni. La FCA et les gestions britanniques se disent favorable à sa remise en place. Il est par ailleurs en cours de transposition dans l’UE.
L’un des objectifs de ce retour en arrière législatif est de retrouver de la couverture par la recherche des courtiers sur les small et midcaps, qui semble avoir beaucoup diminué (ce qui a été confirmé par la table ronde des gérants ensuite). Les études qui ont été menées sur le sujet semblent toutefois se contredire, selon Yann Coffey.
Cependant, l’autre question centrale est désormais la suivante : qui paie la recherche, l’Asset Manager ou le client final ? En effet, la directive Mifid II a été mise en place en 2017, et le mouvement général des Asset Managers a été de payer la recherche des brokers sur son propre compte de résultat. Après bientôt huit ans de financement par ce biais, la tentation est forte de charger les fonds par le biais des frais de gestion. Le coût de la recherche est estimé par Virtu Financial à 2pb des encours sous gestion. Il estime que ce changement législatif n’intervient pas de manière trop tardive.

Table-ronde des gérants de portefeuille

Trois gérants de portefeuille, Aude Contamin (CDC Croissance), William Higgons (Indépendance AM) et Daniel Tondu (Gestion 21), tous membres de la SFAF, ont répondu aux questions de Philippe Cordier, animateur de cette table ronde et directeur général de la SFAF.
Deux portent un biais plutôt « value » et l’un d’entre eux, CDC Croissance, a un biais de croissance/qualité à prix raisonnable.  Deux d’entre eux sont très spécialisés valeurs moyennes (CDC Croissance et Indépendance AM), et le troisième plus généraliste (Gestion 21).

Recours à l’analyse externe
Les trois gérants consomment de la recherche broker, qu’ils jugent de qualité inégale, et en tous cas très insuffisante concernant le suivi des valeurs moyennes : beaucoup de titres ne sont ainsi couverts que par un seul courtier ou indépendant par le biais d’une recherche sponsorisée, ce qui est considéré comme un pis-aller par les gérants présents.
Aude Contamin dirige une équipe de 8 gérants – analystes : les deux fonctions sont associées, car elle ne conçoit pas une bonne gestion sans une bonne analyse dans l’univers des small & midcaps cotées. Elle insiste sur l’importance de l’analyse financière fondamentale et indique être moins friande des previews et postviews des résultats trimestriels qui prennent du temps aux analystes pour une valeur ajoutée jugée limitée. CDC Croissance utilise de « l’expert access » sur le secteur technologique pour valider la technologie et avoir une meilleure compréhension de l’environnement concurrentiel. Elle sous-traite ponctuellement des études auprès d’analystes financiers externes sur des business modèles complexes. Selon elle, la recherche de brokers est importante, d’une part pour challenger les convictions des gérants et, d’autre part comme vecteur stratégique pour attirer des investisseurs internationaux. Aude Contamin mentionne que la Place financière italienne travaille sur un système de financement complémentaire de la recherche financière fondamentale à travers une fondation financée par la Cassa di Depositi e Prestiti et les associations de Place. Elle souligne que la CDC cherche depuis quelques années à mettre en place un système similaire sur le marché français, sans réussite à ce stade.
William Higgons va plus loin en déclarant que les analystes oublient l’analyse financière de base et suivent trop les indications des entreprises. Les notions de rentabilité des fonds propres ou des capitaux engagés sont particulièrement instructives et utiles à la sélection des bons dossiers : elles constituent le cœur de sa propre analyse des entreprises. Il critique sévèrement les WACC des analystes à 9 ou 10% dans un monde à 1% de croissance ; selon lui, les rapports annuels sont devenus tellement exhaustifs qu’ils se substituent à une partie du travail de l’analyste. Il réfute enfin l’idée de taux d’actualisation différents selon les sociétés.
Daniel Tondu attend d’un analyste sell-side un focus sur les prévisions de BPA. Selon lui, la vraie valeur ajoutée réside dans les études de fond sur les entreprises : elles sont devenues malheureusement trop rares...

Sous-évaluation des valeurs moyennes et tendances du marché
Les valeurs moyennes sont unanimement considérées comme massacrées à 6.5X l’EV/EBIT 2024.
Aude Contamin considère que c’est le moment d’acheter les Small et Mid caps. C’est d’ailleurs dans cette logique que CDC croissance a lancé fin 2024, pour le compte de la CDC, un fonds de fonds, CDC Croissance Selection PME. Il est destiné à investir dans les OPCVM spécialisés dans les small caps cotées dont les équipes sont basées en France. La classe d’actifs a subi une décollecte massive depuis 5 ans, les valorisations sont historiquement basses. Le lancement de ce fonds de fonds vise à participer à la création d’une dynamique de flux.
Elle estime que l’on est actuellement dans un marché de flux et moins un marché de fondamentaux basé sur l’évaluation. L’engouement sur les crypto-monnaies en est un exemple, ce sont des actifs sur lesquels les méthodes de valorisations traditionnelles ne sont pas utilisables pour justifier leur prix. Le fondamental doit prendre le dessus, d’autant que le vrai rôle du métier d’investisseur dans l’économie est de financer les entreprises.
Concernant les niveaux de valorisation du marché actions, Daniel Tondu se montre plutôt optimiste avec une Europe très dépréciée sur des bases historiques. L’empilement de décotes est en effet impressionnant : décote de l’Europe vs USA, de la France vs Europe et des « Mid caps » françaises vs les « Large caps » françaises... Il constate que le concept « Value » a connu un long purgatoire de 15 ans, avec une stabilisation qui dure depuis 5 ans : la fin des taux zéro n’a pas suffi à réellement relancer la « value ». Il considère que, progressivement, on commence à reparler de cash flow et de financement de projets réels. Il croit au thème de la réindustrialisation en Europe, et rappelle combien la notion de temps et de durée est importante en matière de gestions d’actions.
William Higgons reste persuadé que 2025 restera une année « value » et demeure attaché à son approche avant tout fondamentale et simple, fondée sur la rentabilité des fonds propres. Pour l’intéresser, une entreprise qui a une rentabilité de ses fonds propres faible doit avoir des arguments très forts. Il relève le paradoxe actuel de la liquidité : les fonds de « Private Equity » rencontrent un grand succès, pendant que les sociétés cotées de faible taille sont sinistrées... alors qu’elles sont par définition plus liquides que les actions non cotées ! La performance catastrophique des introductions récentes est peut-être de nature à lever ce paradoxe.

Table-ronde des analystes financiers

Quatre bureaux indépendants d’analyse des entreprises et des marchés sont venus présenter leurs offres (plateformes de données et d’analyse, études sur mesure ou standardisées). Elles ont échangé sur leurs différentes méthodologies d’évaluation des entreprises et leur sentiment sur la situation actuelle des marchés.
Olier Etudes & Recherche (Jérôme Lieury) est un cabinet d’analyse financière qui se concentre sur les fondamentaux de l’entreprise. Il produit des études sur des petites et moyennes actions cotées.
PhiAdvisor Valquant (Eric Galiègue) produit sur plus de 2 500 instruments financiers (plus de 2 000 actions individuelles et plusieurs centaines d’ETF), des indicateurs synthétiques de « Price momentum » (sous forme de signaux d’achat et de vente générés sur 3 horizons d’investissement) et des scores fondamentaux de croissance d’activité, de révisions de prévision, d’évaluation et de risque des actions individuelles. Ils sont mis à jour quotidiennement sur une plateforme qui met à disposition les travaux des 3 analystes financiers de l’équipe.
Equity GPS (Gilles Bazy-Sire) est une société de recherche sur les actions, qui mixe analyse fondamentale et quantitative.  Elle propose un système-expert rationnel, innovant et performant qui réévalue, chaque jour, la valorisation et la dynamique des perspectives financières – fondements du potentiel de performance boursière à moyen terme – de près de 7000 valeurs représentant plus de 90% de la capitalisation boursière mondiale et 99% de la française.
AlphaValue (Laurent Lamagnère) est le premier fournisseur indépendant en Europe de recherche sur les actions, le risque de crédit et l’ESG. AlphaValue propose des analyses et des évaluations indépendantes du modèle d’affaires, qui permettent d’évaluer leurs risques et opportunités d’investissement. Avec une équipe dédiée de 39 analystes, AlphaValue couvre activement plus de 550 grandes capitalisations à travers l’Europe, dans une approche holistique et cohérente : chaque analyste est responsable à la fois des aspects financiers (y compris la modélisation et l’évaluation) et non financiers (S-ESG), soutenus par 17 ans de données propriétaires. Afin d’assurer l’impartialité et de faciliter les comparaisons significatives entre les actions, AlphaValue déploie un processus de recherche hautement discipliné et standardisé conçu pour minimiser les biais des analystes. L’analyste n’a ainsi pas la main sur les méthodes de valorisation des entreprises qu’il analyse ; par exemple il n’a pas le choix ni sur le béta ni sur la croissance à l’infini afin de limiter les biais au maximum.
Les intervenants s’accordent à dire que les réformes comptables sont trop fréquentes : on rajoute en effet des normes en permanence. Et, par ailleurs, les sociétés présentent leurs comptes en IFRS, augmentant ainsi le risque de confusion.
Ils ajoutent que, même si l’on cherche à les limiter, les biais sont inévitables. Le cycle des bénéfices entraîne celui des prix, mais pas celui de la sur ou sous-évaluation. Le PER reste l’outil le plus simple et le plus comparable. Les contraintes de risque empêchent certaines gestions de gérer à long terme.
Selon AlphaValue, la communication financière des entreprises par l’intermédiaire des Relations Investisseurs a pour but de limiter la volatilité des résultats. Ce qui est un enjeu du point de vue du gérant, c’est d’être le premier client appelé post « pré-close call », quand la société commence à appeler les analystes pour « guider » le consensus.
Concernant la valorisation actuelle des marchés, les avis divergent fortement :

  • La société Olier Etudes & Recherche estime l’écart de valorisation et de performance entre l’Europe et les Etats-Unis un peu excessif et pense que le rattrapage de l’Europe va se poursuivre. Ainsi, la société fait un pari procyclique européen.
  • AlphaValue reste en revanche très prudent, estimant qu’après le violent rebond, les risques macroéconomiques ne sont pas assez intégrés. Un facteur traditionnel d’alerte est que, depuis le début de l’année, 36 % des flux viennent des investisseurs particuliers, ce qui rappelle de mauvais souvenirs. Le cabinet d’études favorise ainsi les valeurs défensives et/ou à rendement, comme les utilities ou les télécoms.
  • Equity GPS est quant à lui plutôt optimiste sur les actions. Certains marchés émergents lui semblent receler un potentiel haussier exceptionnel.
  • PhiAdvisor Valquant enfin se déclare relativement optimiste sur les actions européennes, qui semblent portées par une dynamique de reprise économiques. ASML et Commerzbank sont les deux titres privilégiés.