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29/11/2018 Le Think Tank, Point de vue, Les commissions

Stress tests bancaires : 4 questions à Christophe Nijdam

Christophe Nijdam, membre de la SFAF, est actuellement analyste indépendant et administrateur de "La Finance Pour tous", présidée par Christian Noyer. Il a été tour à tour banquier aux États-Unis, analyste bancaire pendant la crise des Subprimes, dirigeant d'une ONG spécialisée sur la réglementation post-crise, membre du collège de l'Autorité Bancaire Européenne (ABE), enseignant à Sciences-Po pendant 18 ans. Christophe Nijdam est co-auteur de "Parlons banque en 30 questions" et auteur de "50 notions clés sur la finance pour les nuls", à paraître aux Éditions First en 2019.

Selon vous, peut-on conclure des résultats des derniers Stress tests communiqués par l'ABE début novembre que les banques européennes seraient suffisamment résilientes en cas de nouvelle crise ?
Tant qu'il y aura des établissements européens sur la liste annuelle des banques systémiques du Conseil de Stabilité Financière, c'est qu'elles ne sont pas « résilientes » en cas de crise. Si elles l'étaient, elles n'auraient plus ce statut de « too big to fail » (2B2F), trop grosses pour qu'on les laisse faire faillite, ce qui les fait bénéficier de la caution implicite des États tenus ainsi en otages. En 2018, sur les 29 2B2F (une de moins qu'en 2017), 13 sont européennes (aussi une de moins qu'en 2017). Et la France est redevenue « vice-championne du monde » avec 4 banques 2B2F, ex-aequo avec la Chine et derrière les États-Unis (8). En effet, BPCE, qui était sortie de cette liste en 2017, l'a rejointe cette année, à sa propre demande car cela lui permet de se refinancer moins cher. Comble de la démonstration du cynisme des 2B2F et de la distorsion de concurrence, au détriment des établissements non-systémiques et des contribuables !

Mi-novembre, Andréa Enria, président de l'ABE, a lui-même critiqué les modalités des tests de résistance organisés depuis 2011 . Que penser de ses propos ?
J'ai toujours pointé la faiblesse de ces tests centrés sur la solvabilité et qui négligent la liquidité. Une banque, plus que toute autre entreprise en raison de la transformation d'échéances (« on emprunte court pour prêter long »), fait défaut lors d'une crise de trésorerie avant qu'un problème de solvabilité ne s'avère. C'est le cas de Dexia qui a fait faillite deux fois, en 2008 et en 2011, malgré des ratios de solvabilité au-dessus des normes réglementaires. Idem pour les banques irlandaises fin 2010, ou encore Banco Popular en juin 2017. Je retiens aussi qu'en Europe, à la différence des États-Unis, les banques peuvent s'auto-appliquer ces tests et, ensuite, communiquer le résultat au superviseur bancaire : c'est un conflit d'intérêts aussi prégnant que l'utilisation des modèles internes d'auto-évaluation des risques, appelés IRB, par les grandes banques européennes pour déterminer leur ratio de solvabilité et, donc, leur besoin en fonds propres. Et c'est bien parce que ces IRB sont « arrangés » que le Comité de Bâle s'était ému de cette distorsion de concurrence supplémentaire dans le cadre du « calibrage » de Bâle 3. Enfin, le point, très juste, soulevé par Andréa Enria est qu'il n'y a pas de lien mécanique entre le résultat de ces tests et une exigence additionnelle en fonds propres. Espérons qu'avec sa prise de fonction à la tête du Mécanisme de Supervision Unique (MSU) de la BCE, quelques-uns de ces points seront améliorés.

Le secteur bancaire européen se trouve actuellement face à de nombreux défis. Selon vous, quel est le principal enjeu ?
J'en retiendrai deux : les fintech qui tireront profit de la blockchain et les GAFAM avec leur pendant chinois BATX .

Depuis plusieurs mois, on voit les superviseurs bancaires, au niveau français comme européen, appeler de leurs vœux une nouvelle consolidation bancaire. Qu'en pensez-vous ?
S'il s'agit de consolider des petites banques, pourquoi pas. En revanche, si cela concerne une consolidation des banques 2B2F, comme l'évoquent les rumeurs concernant Deutsche Bank avec Commerzbank, Unicrédit et Société Générale, ou encore Barclays et Standard Chartered, on ne ferait alors que pérenniser la rente de situation du 2B2F avec ses externalités négatives, ce qui va à l'encontre de l'intérêt général. Aujourd'hui, on pourrait éviter de refaire l'erreur du champion bancaire européen "à la ABN AMRO" dont la méga fusion a plié deux banques systémiques en 2008, RBS et Fortis.

Propos recueillis par Michèle Hénaff, rédactrice en chef de la revue Analyse financière
Contact : revue@sfaf.com

En collaboration avec Jézabel Couppey-Soubeyran, La Documentation Française, deuxième édition publiée en 2018.
Lire l'article "Le régulateur des banques européennes critique les récents stress tests", Les Echos (15/11/2018).
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