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01/07/2016 Le Think Tank

Des fondamentaux de l’analyse financière…

Confronter les informations, les vérifier et les interpréter, avec esprit critique, en toute indépendance et avec neutralité : telles sont les responsabilités clés du métier d'analyste financier. Alors que prédomine une vision de court terme, l'analyse financière et le métier d'analyste se situent aujourd'hui à un carrefour. Plus que jamais le rôle de la SFAF, acteur de l'environnement financier, est de contribuer à l'affirmation et à la préservation des principes de son code de déontologie.

 

Depuis les années trente, à l'époque de la publication de l'ouvrage Security Analysis de Graham et Dodd, et jusqu'au début des années 2010, l'analyse financière a pris une place croissante dans la vie des entreprises et dans le fonctionnement des marchés financiers. L'analyste financier est devenu un acteur majeur de la relation entre les entreprises cotées et les investisseurs, institutionnels ou particuliers. Et depuis plus de 50 ans, la SFAF a vécu et accompagné cette évolution. Aujourd'hui, l'analyse financière et le métier d'analyste sont à un carrefour.

Dans un monde où prédomine la vision à court terme, l'analyste financier, equity ou crédit, doit pouvoir développer, en toute indépendance, son approche du moyen/long terme, en matière de stratégie et d'enjeux financiers. Mais parallèlement, l'analyse financière, longtemps considérée comme un centre de coûts, va faire l'objet d'une rémunération spécifique identifiée suite à la nouvelle directive MIF 2 et va donc devoir justifier son utilité. La rigueur dans l'analyse mais aussi l'esprit critique face à une communication des émetteurs de plus en plus structurée et standardisée seront plus que jamais nécessaires à une profession qui devra, toujours plus chaque jour, affirmer son indépendance. Le rôle de la SFAF est de contribuer à l'affirmation et à la préservation de ces principes.

 

ANALYSER, UNE MÉTHODE RIGOUREUSE

L'objectif de l'analyse financière est de fournir, à partir d'informations d'origines diverses mais surtout d'informations comptables, une vision synthétique faisant ressortir la réalité de la situation et qui doit aider l'investisseur et le prêteur dans leur prise de décision. Ce travail, réalisé à partir d'informations concernant le passé de l'entreprise, doit apporter un éclairage sur son avenir à travers un exercice de valorisation. Analyser consiste à décomposer un tout en ses éléments de manière à le définir, le classer, le comprendre. Analyser, c'est proposer des retraitements pour conduire à un standard de résultat normé avec une fidélité entre résultat comptable et traduction économique. Analyser, c'est aussi projeter sur les années à venir les informations perçues émanant de l'entreprise et de son environnement. Mais analyser, ce n'est pas effectuer une analyse statique des données comptables. On se doit d'intégrer une démarche, de relier les informations du compte de résultats aux liquidités. Ce travail permettra, in fine, de proposer la méthode de valorisation la plus adéquate : actualisation des cash-flow, actif net par action, somme des parties, multiple des résultats…

La démarche d'analyse exige un travail approfondi sur les comptes tant consolidés que sociaux, sur une période d'au moins trois ans, voire cinq ans. Elle nécessite une attention particulière au capital-dirigeant et à son organisation. Elle gagnera également à connaître l'histoire de l'entreprise. L'appartenance sectorielle est loin de définir à elle seule la catégorie d'investissement de l'entreprise. Son actionnariat, son mode de gouvernement et son histoire sont des variables tout aussi déterminantes pour qualifier l'acteur avec lequel un investisseur est susceptible de s'associer.

 

L'INFORMATION, COEUR DU MÉTIER DE L'ANALYSTE

Au cœur du métier d'analyste figure le traitement de l'information sur les comptes, les hommes, l'organisation et l'environnement concurrentiel. Plus la masse traitée est importante, plus l'analyse est pertinente. Elle constitue le point d'entrée. À la sortie, il y a une évaluation qui dépend de l'ordonnancement de ces données. Et il convient de ne pas se laisser abuser par cet exercice de valorisation, parfois résumé par un formulaire binaire achat/vente. C'est le travail en amont de l'analyste qui permet d'aboutir à cette synthèse.

La valeur de l'analyse se situe donc bien dans le traitement et les retraitements. Deux conditions, à mettre en œuvre parallèlement, sont nécessaires à leur bonne exécution : diversité des données et esprit critique. Point de départ et point d'arrivée d'un travail d'analyste financier, les chiffres sont importants. Il faut les faire parler. Pour découvrir la réalité qu'ils expriment, il faut promener sa curiosité sur les multiples aspects de l'entreprise : son cadre juridique, ses choix humains et d'organisation, sa communication, son histoire, son actionnariat, le profil de ses administrateurs, etc. Pour arriver à ses fins, c'est-à-dire une recommandation, l'analyste se doit de couvrir tous ces aspects.

 

L'ESPRIT CRITIQUE, UNE VERTU CHEZ L'ANALYSTE

L'esprit critique est chose plus délicate : il nécessite de la méthode – la SFAF, avec sa formation, y veille – et exige de pouvoir s'extraire de l'influence du marché. Bien des erreurs et mauvaises interprétations trouvent leur origine dans un abandon de cette étape de l'analyse à des tiers, des émetteurs voire au consensus, ce qui conduit à la définition du sujet d'investissement. Elle est la raison d'être de l'analyse et la laisser à d'autres ne peut conduire qu'à égarer les investisseurs. L'analyste doit, par ailleurs, se garder de deux écueils naturels : l'autocensure et le consensus. Rien n'est plus dommageable au métier du traitement de l'information que de ne pas voir ou de refuser de voir. Cet esprit critique de l'analyste doit aussi se porter lorsqu'il y a disparité de résultats, de marges entre émetteurs d'un même secteur. Il est donc impératif que notre attention soit tout entière mobilisée sur cette étape clé de notre métier qui valide notre raison d'être, la valorisation. À savoir analyser pour définir. L'absence systématique de « retraitement » des données est déjà un signe précurseur de la faiblesse d'une analyse.

 

INDÉPENDANCE ET NEUTRALITÉ, L'EXIGENCE D'UNE PROFESSION

Les conditions d'une indépendance et neutralité objectives doivent impérativement être réunies. Le code de déontologie de notre association (section 3 in fine) exige de nos membres de se soumettre à des procédures qui visent notamment à « s'assurer que les travaux des analystes ne sont pas soumis à des influences inappropriées et que les analystes ne participent pas à des activités susceptibles de nuire à leur objectivité ».

L'analyste membre de la SFAF « ne peut prendre aucune position personnelle directement ou par personne interposée sur les titres, qu'ils soient cotés ou non, au suivi desquels il participe dans les professions utilisant les techniques d'analyse financière », ce qui serait un conflit d'intérêts majeur (paragraphe 5.2).

Mais l'évitement absolu des conflits d'intérêts n'est qu'un cas particulier du constant souci de qualité qui s'impose à tous les membres car à l'évidence (paragraphe 4.2.1) : « L'analyse financière, élaborée à partir d'informations publiques, peut aboutir à des conclusions dont la diffusion aura une influence sur le cours de Bourse ». Dans le cadre de ses activités annexes (paragraphe 6.2), l'analyste membre de la SFAF doit « être attentif à la portée des informations et commentaires diffusés ».

Mais les principes déontologiques de la SFAF sont largement la traduction de principes qui s'imposent à tous les acteurs susceptibles de diffuser de l'information financière (directives européennes, code pénal, réglementation de l'AMF…). Ainsi peuvent être sanctionnés des auteurs, simples « blogueurs », quoique spécialistes de finance, d'informations inexactes, sciemment ou pour lesquelles l'auteur n'a pas procédé aux vérifications élémentaires dont il avait la compétence (décision de la commission des sanctions de l'AMF du 7 novembre 2013). Or, cette décision a été prise dans un cas où le comportement jugé tout à fait répréhensible n'a cependant eu ni pour objet, ni pour effet, d'agir sur le cours du titre. Les sanctions seraient nécessairement plus lourdes dans les cas inverses.

 

L'ANALYSE FINANCIÈRE, UN MÉTIER EN RENAISSANCE

Confronter, vérifier et interpréter, tels sont les mots-clés de ce métier d'analyste financier. L'analyse financière ne fait pas partie des sciences dures et, au cours de ces derniers mois, elle a été critiquée en raison de la survalorisation de ses attentes. Les normes IFRS offrent, par exemple, un nombre d'options important qui ne permettent pas de prime abord de comparer deux émetteurs. Des comptes en US GAAP et en IFRS ne peuvent être comparés sans retraitement. L'information sectorielle est-elle pertinente dans le temps ? L'activation de la R&D est-elle systématique chez tous les émetteurs ? La comptabilité d'un émetteur reflète-t-elle l'appartenance à un secteur ? En somme, a-t-on conscience des obligations qui s'imposent à l'analyste pour pouvoir fournir une recommandation, un avis ?

PAR LE CONSEIL D'ADMINISTRATION DE LA SFAF

 

Article initialement publié dans l'édition 60 de la revue Analyse financière (juillet-août-septembre 2016)