
Le 14 mai 2025, la SFAF a invité Anne-Catherine Husson-Traore, fondatrice d'ACT'eurs de la transformation durable, ancienne dirigeante de Novethic et experte en finance durable, à une réunion ESG sur le sujet « Quel avenir pour les règlementations européennes sur la finance durable ? ». A cette occasion, elle est revenue sur la mise en œuvre des règlementations Taxonomie, SFDR et CSRD afin de décrypter les enjeux spécifiques de ces dispositifs techniques devenus des atouts économiques et géostratégiques.
L’ambition initiale
La réglementation européenne (SFDR, taxonomie, CSRD) avait pour ambition de faire de la finance un levier clé de la transition durable, en cohérence avec l’Accord de Paris (2015). Le projet politique était fort : faire de l’Europe un leader de la finance durable, en s'appuyant sur un cadre réglementaire structurant et harmonisé.
Chaos et manque de clarté
Cependant, le déploiement s’est avéré mal maîtrisé et chaotique, causant un décalage de calendrier majeur : les investisseurs ont dû appliquer SFDR sans disposer de données ESG fiables des entreprises, ce qui a affaibli leur implication. Le retour de flamme qui en a résulté a complexifié l’application de la norme et créé incompréhension et réactions de rejet chez les investisseurs. La taxonomie s’est retrouvée détournée de sa fonction initiale, qui devait être celle d’un dictionnaire vert clair et partagé, à cause de compromis politiques, notamment entre la France et l’Allemagne (ex : inclusion du gaz et du nucléaire) qui ont abouti à une taxonomie irréaliste. L’ensemble du dispositif a été malheureusement affaibli, voire dénaturé par :
- Un portage politique défaillant ;
- Un manque d’explication aux citoyens et aux entreprises ;
- Des usines à gaz réglementaires peu opérationnelles.
La confusion entre marketing ESG et performance réelle nuit à la crédibilité du dispositif.
Le projet Omnibus : un retour en arrière significatif
Le projet de simplification dit "Omnibus" est perçu par Anne-Catherine Husson-Traore comme une menace majeure pour l’ESG : il s’est construit dans l’urgence et la Commission Européenne n’a, selon elle, respecté aucun des processus : sans analyse d’impact ni consultation sérieuse, ni des entreprises, ni des populations.
Il compromet, selon l’intervenante :
- La pertinence, fiabilité et comparabilité des données ESG ;
- La gestion des risques financiers liés aux enjeux durables, telle que vient de le rappeler la BCE elle-même.
L’objectif initial de la CSRD, la transformation des modèles économiques, a été oublié.
La directive, via la double matérialité et les plans de transition, visait à amener les entreprises à repenser leur modèle économique, et non à empiler des rapports. Cette approche stratégique était jugée pertinente, fiable et comparable, mais elle est aujourd’hui menacée par une simplification trop poussée.
Un risque de perte de compétitivité
L’ironie du sort est que la Chine adopte en ce moment-même certaines normes que l’Europe abandonne, risquant de renoncer à un atout compétitif : la durabilité.
Le rôle de la finance et des labels
Le développement de produits ESG a été massif mais souvent peu transformateur. Il faut sortir du « greenwashing d’indice » (fonds "durables" calqués sur les indices classiques) et aller vers :
- Des produits à impact clairs ;
- Une logique de transition et transformation (ex : Best Effort) ;
- Un écolabel européen crédible et compréhensible.
Les deux exemples suivants sont révélateurs du monde actuel.
ArcelorMittal a abandonné un plan de décarbonation de 1,8Md€, illustrant malheureusement l’absence de stratégie de long terme de la société. Le débat sur l’armement illustre quant à lui une autre confusion : l’ESG est accusé à tort de bloquer le financement, alors que les vraies sources de financement sont étatiques.
La nécessité d’un sursaut collectif
Il est nécessaire de rétablir le sens initial du projet réglementaire : outiller la finance pour évaluer la résilience, la soutenabilité et l’impact des modèles économiques. L’intervenante appelle à l’action : mobiliser les praticiens, juristes, investisseurs, citoyens pour sauver les outils utiles que sont la CSRD et la taxonomie.
La situation est complexe, mais pas désespérée, même aux Etats-Unis. La meilleure preuve en est que 96% des entreprises américaines n’ont pas modifié leur politique ESG malgré un contexte politique bien différent. Ce qui démontre que même si la règlementation « patauge », les entreprises gardent le bon cap. Mais le politique doit redonner un cap clair, expliquer l’utilité des outils et permettre à la finance de devenir enfin un levier de transformation réelle.
Pour compléter son intervention, Anne-Catherine Husson-Traore a répondu à 3 questions en vidéo :
- Où en est-on sur le cadre règlementaire européen ? Que reste-t-il du dispositif initial ?
- Quelles sont les principales conséquences de cette situation sur les données ESG des entreprises comme des investisseurs ?
- Comment la situation peut-elle évoluer positivement pour pousser la transformation durable des modèles économiques rendue encore plus nécessaire par les crises en cours ?
La présentation diffusée pendant la réunion est disponible via ce lien, en accès réservé aux membres de la SFAF.