Les actualités et publications
01/10/2014 Emetteurs

Biotech : une communication financière spécifique pour une nouvelle industrie en bourse

Industrie naissante en Europe mais surtout industrie au coeur des enjeux stratégiques les plus importants pour la communauté humaine partout dans le monde depuis l'allongement de la durée de vie dans nos sociétés développées, la communication financière des biotech/medtech nécessite une pratique particulière,  et certainement le développement d'innovations spécifiques. Expliquer ces activités complexes, les délais et les risques associés représente les principaux enjeux.

 

La multiplication d'opérations financières dans le secteur de la santé depuis cinq ans sur la place de Paris a contribué à l'émergence d'une communication financière spécialisée : présentation d'activités technologiques complexes, phasing de développement propres à une industrie, business model spécifiques, facteurs de risques inhérents à un écosystème mondial particulier, autant de caractéristiques qui nécessitent une communication dédiée. Au-delà des spécificités propres à une industrie, c'est toute une pédagogie qu'il convient de mettre en oeuvre auprès de cibles de la communauté financière encore peu spécialisées il y a quelque temps, et d'un actionnariat individuel venu à la Bourse vers ces nouvelles valeurs cotées. La communication financière de ce secteur a dû s'effectuer auprès de cibles très sensibles aux enjeux de la santé humaine, mais peu familières des risques élevés de cette industrie. Cette communication doit donc expliciter ces facteurs de risques, tout en valorisant un secteur qui se veut prometteur avec de nouvelles “pépites” qui façonnent l'une des dernières industries françaises d'excellence pouvant bénéficier d'un fort rayonnement potentiel à l'international.

 

Des activités technologiques complexes

Plus d'une vingtaine de sociétés issues du secteur de la santé se sont cotées et près de 1,5 milliard d'euros ont été levés dans le cadre d'introductions en bourse ou d'opérations secondaires au premier semestre 2014 sur la place de Paris. De fait, Paris serait la deuxième place de marché mondiale pour les medtech/biotech avec une cote étoffée de plus de soixante valeurs permettant à la ville d'être qualifiée par certains investisseurs de véritable hub pour cette industrie. Mais derrière l'appellation commune à un secteur de la santé, sous la dénomination anglosaxonne healthcare, se cache une multitude de segments de marché difficiles à appréhender et à expliquer. Dans le secteur de l'oncologie, qu'y a-t-il de commun entre la vision de la  nanomédecine d'une société telle que Nanobiotix et la rupture technologique propre au peignage moléculaire de Genomic Vision ?

L'innovation technologique propre à cette industrie a parfois donné naissance à plusieurs voies de recherche au sein de mêmes filières, rendant certains domaines hyperspécialisés incompréhensibles pour l'investisseur généraliste, voire le spécialiste. L'objet premier de la communication financière sera donc de préciser le positionnement de la medtech/biotech.

Ceci nécessite une vulgarisation scientifique qui, si elle simplifie le propos, ne doit pas dégrader la proposition de valeur  propre à une innovation. Cette explicitation est rendue encore plus complexe par l'absence fréquente de société comparable dans le monde, cotée ou non. La communication clé de l'activité de la société medtech/biotech passera par l'explicitation de la propriété intellectuelle inhérente à une innovation. Le transfert de plus en plus fréquent vers le privé de certains brevets issus d'instituts de recherche publique invite, par exemple, à la présentation de plus en plus précise du partage des licences entre les parties en présence et une caractérisation juridique du cadre du partage des revenus futurs. Mais la caractéristique clé de ces activités innovantes est qu'elles s'inscrivent dans des délais de développement très longs, un médicament  nécessitant une quinzaine d'années de recherche et de développement avant d'être commercialisé. Par conséquent, la présentation du domaine d'activité de la société va de pair avec la nécessité de préciser le stade de développement de l'innovation.

 

Innovation et vie boursière

 

  • Un phasing de développement propre à une industrie :

La communication financière d'une medtech/biotech s'attache à la présentation du stade de développement précis d'une  molécule ou d'un dispositif médical avant sa mise sur le marché, puis l'industrialisation de sa production. Les investisseurs sont désormais familiers des notions de phases d'essais précliniques, cliniques puis les études post-marketing. L'arrivée en Bourse de sociétés en mal de financement par les capitaux risqueurs spécialisés dans la santé aux stades les moins avancés du développement de certaines technologies a entraîné la nécessité d'expliciter plus finement ces phases. Il a fallu préciser les délais de passage entre ces phases. Selon les indications médicales visées par les études cliniques et les pays ciblés pour les autorisations de mise sur le marché de ces futurs médicaments ou dispositifs médicaux, le nombre de patients dits “à enrôler” et le coût des études cliniques peuvent varier très significativement. Ainsi, les délais de passage de chaque phase peuvent s'étaler entre deux et trois années, voire plus selon l'innovation, les indications et les pays visés. De plus en plus, la  communication financière de ces sociétés associe à la présentation détaillée du portefeuille de technologies innovantes, un calendrier des annonces futures précisant l'année potentielle de passage des phases de chaque technologie. Ce calendrier s'opère généralement sur cinq années. Tout l'enjeu de la communication sera de présenter ces futurs jalons de développement de l'innovation dans le contexte de la vie boursière de la société.

Mais au-delà des délais de plusieurs années entre chaque phase, la communication financière peut préciser certains points d'inflexion créateurs de valeur qui soutiennent la réussite du passage de chaque phase. Ce peut être la signature d'un partenariat stratégique avec un grand laboratoire pharmaceutique même à un stade précoce de son développement d'une technologie. C'est également le soutien d'un très grand scientifique de renommée internationale, le fameux KOL (Key Opinion Leader) qui peut rejoindre le conseil scientifique d'une société et participer au rayonnement scientifique d'une innovation majeure. Ce sont également le nombre de publications scientifiques au plan international, qu'on peut identifier sur le fameux site Pubmed et qui peut marquer l'accroissement de la notoriété scientifique et l'adoption future d'une technologie. Mais au-delà des délais entre chaque phase de développement et des particularités propres aux sociétés biotech, c'est surtout le risque associé à chaque phase qui est problématique pour la communication financière. On estime entre 1 et 2% le pourcentage de réussite de mise sur le marché d'une innovation à partir des essais précliniques. Le taux d'attrition entre chaque phase clinique ressort ainsi à un peu moins de 50 %. La maturité d'une entreprise medtech/ biotech associée à un stade de développement d'une innovation est donc toute relative, et la communication financière doit tenir compte des risques inhérents à chaque phase de développement. Cette notion de risque amène les entreprises de ce secteur à adopter des business model spécifiques dans une industrie elle-même particulière.

 

Des risques pour chaque phase de développement

 

  • Les business models

L'émergence des biotech/medtech est liée à l'extériorisation du risque associé à la R&D des grands laboratoires  pharmaceutiques. En effet, les coûts de développement et marketing d'un médicament au plan mondial atteignant des  montants prohibitifs pour une petite entreprise – on estime qu'un médicament dit blockbuster nécessite un investissement proche du milliard d'euros pour un chiffre d'affaires qui doit atteindre au moins le milliard d'euros par an – les grands laboratoires pharma ont outsourcé la recherche des médicaments aux biotech. Ce mouvement généralisé d'extériorisation de la recherche et donc du risque associé s'est étendu au monde entier. De fait, c'est tout un écosystème qui s'est mis en place pour les biotech qui doivent trouver les ressources financières pour continuer d'innover. Dans le contexte de crise financière qui sévit depuis 2007, les biotech françaises ont trouvé le chemin de la Bourse et ont dû adapter leur développement par rapport à une pénurie de capitaux. Par conséquent, le business model type de ces entreprises consiste à se concentrer sur leur portefeuille d'innovations et leur développement autour des technologies les plus prometteuses au fur et à mesure des passages de phases des études cliniques. Des modèles différents ont émergé selon la réussite du développement des innovations. Certaines entreprises comme Erytech ont choisi de concentrer leurs technologies innovantes sur les maladies rares ou orphelines, les études cliniques pouvant s'effectuer plus rapidement car nécessitant moins de patients compte tenu du niveau criant d'insatisfaction des besoins médicaux sur le marché mondial et de l'urgence des soins.

D'autres entreprises comme Oncodesign, issu du service, ont fait le choix de développer une activité de recherche très innovante peu finançable en amont par les grandes pharmas en plus de leur activité de services. Quoi qu'il en soit, étant concentrées sur leurs innovations, ces entreprises ne sont pas censées générer un chiffre d'affaires important, voire aucun chiffre d'affaires à court terme. C'est la consommation de trésorerie qui est le point majeur d'attention des investisseurs. Au-delà de ce point d'incompréhension, notamment de la part des actionnaires individuels, ce sont surtout les attentes pressantes des investisseurs quant au passage rapide des phases cliniques qui ont créé le plus de frustrations dans la communication financière des sociétés medtech/biotech. L'un des meilleurs exemples est la société Carmat. La promesse du coeur artificiel Carmat répondant à la pénurie majeure de greffons pour les patients victimes d'une grave insuffisance cardiaque, a généré une notoriété mondiale qui a mis en valeur le savoir-faire médical français. Mais cette notoriété a également entraîné une incompréhension majeure de la communication de la société, après le décès du premier patient de l'essai clinique. En effet, le protocole de l'essai définit comme critère la survie à 30 jours avec un coeur artificiel d'un patient pour lequel aucune alternative n'est possible actuellement. Or, ce premier essai a dépassé toutes les espérances scientifiques et médicales en offrant au patient 76 jours de vie. La communication financière liée à un enjeu de vie et de mort n'est pas chose aisée et la notion de risque attaché à ce secteur démontre bien la spécificité de cette communication.

  • Éduquer la communauté financière

C'est bien la notion de risque qui est à intégrer dans toute communication financière propre à ce secteur. Dans la mesure où les propositions de valeur de ces sociétés ont une résonance humaine particulière au-delà des enjeux purement financiers, la présentation du risque associé au développement de ces nouvelles technologies est primordiale. L'intégration de la notion de risque est d'autant plus importante que les cibles de la communauté financière étaient encore peu spécialisées il y a quelques années. Par-delà la pédagogie nécessaire à la communication d'activités innovantes sans comparaison, bien souvent dans des  domaines inconnus pour beaucoup, c'est toute une éducation des investisseurs qu'il convient de déployer. En France, cette notion de risque est souvent incomprise. L'enjeu de création de valeur de la part de ces entreprises est bien plus important que dans d'autres secteurs, et c'est bien parce que cet enjeu de développement de valeur attaché à cette innovation est important que le risque en amont peut être supérieur à bien d'autres industries. De plus, quand on sait qu'un dirigeant d'une entreprise de cette industrie a 45 minutes lors d'un roadshow pour expliquer son activité et convaincre un investisseur de participer à son développement, l'enjeu de communication est de taille et la courbe d'expérience des communicants est cruciale.

Le rayonnement de cette industrie française d'excellence que les premières Life Sciences Days organisées par France Biotech à New York en juin dernier ont permis d'amplifier aux États-Unis, nécessitera une communication financière internationale auprès de nouvelles cibles plus spécialisées et expérimentées. Cette communication pourra générer également de nouvelles incompréhensions dans la communication financière de ces entreprises, incompréhensions plus culturelles peut être cette fois. Mais dans tous les cas, c'est bien une communication financière spécialisée qui prend forme à l'échelle mondiale avec le pôle attracteur de la place de Paris auprès d'investisseurs américains, mais également chinois et moyen-orientaux, en plus de l'émergence de pôles médicaux d'excellence en Asie – à Singapour par exemple où investissent les entreprises françaises du secteur.

 

Pubmed : il s'agit d'un principal moteur de recherche de l'ensemble des domaines de spécialisation de la biologie et de la médecine. Source Wikipedia. www.ncbi.nlm.nih.gov

 

Article initialement publié dans l'édition 53 de la revue Analyse financière (octobre-novembre-décembre 2014)

_______________________________________________________________________

Biotech: specific financial communication

The biotech/medtech sector is an up-and-coming industry in Europe that lies at the very heart of one of the most important strategic issues for the global human community since life expectancy has increased in our developed societies.  Biotech/medtech companies' financial communication needs to be executed in a particular manner in order to explain their complex activities, timelines and associated risks. The number one aim of financial communication will thus be to explain the technological activities that are difficult to grasp and the medtech/biotech company's positioning. This necessitates scientific popularisation that should not be detrimental to the value proposition inherent to an innovation.