Les actualités et publications
01/04/2016 Emetteurs

OHB, Pure player de l'espace

Exemple d'ETI du Mittelstand allemand, OHB est devenue un acteur incontournable du secteur spatial en Europe, présent dans tous les segments du marché. Sa stratégie vise à la fois les clients institutionnels – pour des infrastructures stratégiques – et des clients commerciaux en quête de solutions innovantes à haute valeur ajoutée. Entretien avec Alain Bories, Senior Vice President Strategy & Business Development chez OHB.

 

Quelle est l'activité d'OHB et que signifie l'acronyme ?

Présenter OHB, c'est d'abord raconter une belle histoire entamée au tout début des années quatre-vingt dans la cité hanséatique de Brême, au nord de l'Allemagne. OHB est, à l'époque, une petite entreprise de cinq personnes, active dans le secteur naval. Christa Fuchs rachète la société, avant d'être rejointe quelques années plus tard par son mari Manfred, qui a quitté son emploi d'ingénieur dans une des entreprises spatiales qui allait donner ultérieurement naissance à Airbus. Sous leur impulsion conjointe, la société OHB entame alors un virage stratégique et s'oriente vers le secteur spatial. L'acronyme quitte l'environnement maritime – Otto Hydraulik Bremen – et renvoie désormais vers l'espace – Orbitale Hochtechnologie  Bremen.

Durant les années suivantes, l'entreprise croît de façon ininterrompue et s'impose progressivement comme l'un des acteurs majeurs du secteur spatial européen. En 2007, OHB est d'ailleurs officiellement reconnue par l'Agence spatiale européenne (ESA) comme l'un des trois Large System Integrator européens, c'est-à-dire comme une entreprise capable de développer et d'assembler des systèmes spatiaux complexes et donc, en particulier, de réaliser la fabrication de satellites pour le compte de l'Agence spatiale européenne.

En 2015, la dénomination sociale de l'entreprise est modifiée, passant d'OHB AG à OHB SE (Societas Europaea), façon pour elle d'affirmer davantage encore son ancrage européen.

 

En quoi la société présente-t-elle des spécificités dans le secteur spatial ?

Alors que la plupart des concurrents d'OHB sont des entreprises au sein desquelles les divisions liées à l'aéronautique et/ou à la défense éclipsent largement des activités spatiales souvent plus secondaires, OHB est un véritable pure player qui a fait le choix de se focaliser exclusivement sur le secteur spatial. Elle déploie son expertise industrielle tant dans le domaine des satellites que dans celui des lanceurs. Parmi les contrats de satellites qu'elle a remportés, on peut citer notamment les cinq unités de la constellation SAR-Lupe, utilisée depuis 2008 par l'armée allemande pour ses besoins en matière de renseignement, ainsi que le système SARah qui lui succédera à partir de 2019. Ou encore, la nouvelle génération de satellites de météorologie qui seront opérés par l'organisation EUMETSAT à l'horizon 2020, et qui sont développés depuis 2010 en coopération avec Thales Alenia Space. Enfin, le contrat Galileo a définitivement permis d'asseoir la société parmi les acteurs de premier plan en Europe.

 

Quelle place occupe OHB dans le secteur spatial européen ?

Outre l'Allemagne, la société est également implantée en Italie, en Belgique, en Suède et au Luxembourg. Tous ces pays sont  d'importants États membres de l'ESA, agence intergouvernementale distincte de l'Union européenne (UE) fondée en 1975. L'ESA est notamment caractérisée par la règle dite du « juste retour », selon laquelle chaque euro investi par un État membre ouvre pour ce dernier un droit à un contrat industriel d'un montant équivalent. Cette règle incitant à investir dans le secteur spatial a permis aux États européens de bâtir en une quarantaine d'années des compétences scientifiques et technologiques de classe mondiale. Et c'est toute l'industrie spatiale européenne, y compris OHB, qui continue de profiter des retombées de l'investissement public dans ce secteur stratégique.

Depuis le traité de Lisbonne de 2009, l'Union européenne met, elle aussi, en oeuvre une politique spatiale nécessaire pour la bonne exécution de ses diverses compétences. Les importants moyens financiers qui accompagnent cette politique – plus de 12 milliards d'euros entre 2014 et 2020 – permettent de construire de nouvelles infrastructures, telle que la constellation Galileo, rivale du GPS américain. Compte tenu de l'absence de juste retour au niveau de l'UE, c'est dans un contexte hautement compétitif qu'OHB a remporté les deux premiers appels d'offres de la Commission européenne pour la livraison au total de 22 satellites Galileo. 8 satellites ont déjà été lancés depuis août 2014 et leur fonctionnement en orbite donne entière satisfaction. Par ailleurs, l'intégration et l'assemblage réussis d'un aussi grand nombre de satellites identiques constituent une première européenne qui démontre la capacité et la crédibilité d'OHB à réaliser des constellations de satellites.

 

OHB est liée à Arianespace. De quelle façon ?

En effet. Dans le domaine des lanceurs, OHB détient 70 % du capital de la société MT Aerospace, basée à Augsbourg, en Bavière. Cette dernière est un membre fondateur d'Arianespace, dont elle est le principal actionnaire allemand. Via MT Aerospace, OHB joue ainsi un rôle clé dans la fusée Ariane 5, en fournissant notamment les réservoirs du lanceur, ainsi que l'enveloppe des propulseurs d'appoint. OHB participe également au développement du lanceur de nouvelle génération Ariane 6 dont le premier vol est prévu pour 2020 et qui doit pérenniser la place de leader mondial d'Ariane pour le lancement de satellites grâce à des coûts réduits et une plus grande flexibilité (voir l'article de Stéphane Israël p. 40).

 

Comment une ETI peut-elle concurrencer des acteurs de plus grande envergure ? Avec quelle stratégie ?

Pour ne prendre que le seul marché des satellites commerciaux de télécommunications, force est de constater que ce dernier est mondial et très concurrentiel. Plutôt que de s'attaquer frontalement au marché des grosses plates-formes de cinq à six tonnes proposées par des acteurs bien établis, comme Airbus et Thales Alenia Space en Europe, ou SSL et Boeing en Amérique du Nord, notre stratégie s'appuie sur une nouvelle plate-forme appelée « Small GEO », de masse plus modeste – autour des 3,5 tonnes – qui doit répondre à un besoin de niche grâce à sa modularité et à sa flexibilité. Les technologies développées sur le marché commercial grâce au soutien de l'ESA, comme la propulsion électrique, permettront à OHB d'améliorer la compétitivité de son offre sur le marché institutionnel. On peut dire qu'OHB est aujourd'hui devenu un acteur incontournable du secteur spatial en Europe. La société est présente dans tous les segments du marché : de l'observation de la Terre à la navigation, en passant par les télécommunications, la science et l'exploration, ainsi que les lanceurs. Plus que jamais, elle est prête à répondre aux besoins de ses clients, tant institutionnels – pour des infrastructures stratégiques, par exemple pour surveiller le climat ou sécuriser les frontières – que commerciaux, avec des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée.

 

ALAIN BORIES
SENIOR VICE PRESIDENT STRATEGY & BUSINESS DEVELOPMENT CHEZ OHB DEPUIS 2006
Diplômé de l'École Polytechnique (X76), de l'École nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace (Sup'Aéro), titulaire d'une licence d'économie appliquée (Paris Dauphine) et d'un Master of Science du MIT, il a commencé sa carrière à la délégation générale pour l'armement (DGA). Il rejoint Alcatel ISR en 1987 et devient directeur des marchés institutionnels d'Alcatel Space en 1998, puis est nommé directeur Espace de Thomson CSF en 2000.

 

Le système SARah est le futur système allemand d'observation radar par satellite.

 

Article initialement publié dans l'édition 59 de la revue Analyse financière (avril-mai-juin 2016)