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01/04/2016 Dans la revue

La folie des banques centrales - Pourquoi la prochaine crise sera pire

PATRICK ARTUS ET MARIE-PAULE VIRARD, JANVIER 2016 - 168 PAGES ; ÉDITIONS FAYARD - 15

Il y a un peu plus de sept ans, quelques jours après la chute de la banque Lehman Brothers, l'éclatement du système bancaire occidental a été évité de peu. Une crise de confiance entre banques, sans précédent, s'était déclenchée. On se souvient d'avoir alors écouté un patron d'une grande banque anglo-saxonne expliquer posément pourquoi il ne voulait plus prêter sur le marché monétaire à des banques européennes. Même pour quelques heures, même avec une garantie publique. À cet instant précis, l'intervention énergique des banques centrales occidentales fut décisive en injectant massivement de la liquidité et en ramenant leurs taux à court terme vers zéro. Ces initiatives furent saluées par la majorité des acteurs. Mais quelques observateurs exprimèrent rapidement leur préoccupation des conséquences inflationnistes d'une telle prodigalité monétaire : on tripla, puis quadrupla, progressivement la taille des bilans des grandes banques centrales alors que le volume des PIB des mêmes pays ne progressait guère. Bientôt huit ans plus tard, une double question se pose avec de plus en plus d'acuité. Patrick Artus et Marie-Paule Virard s'efforcent d'y répondre dans leur ouvrage : La folie des banques centrales.

Tout d'abord, pourquoi l'efficacité de cette politique accommodante, en matière de reprise de la croissance, est-elle si inégale selon les pays ? Et pourquoi est-il si difficile de revenir à des conditions monétaires plus normales, alors que les effets pervers de cette situation qui dure deviennent de plus en plus manifestes ? Leur réquisitoire est brillant mais largement à charge et rappelle irrésistiblement le proverbe sur les difficultés relatives de la critique et de l'art.

 

L'EFFICACITÉ

L'efficacité tout d'abord. Elle fut donc au plus fort de la crise quasi instantanée sur le retour de la confiance. Le marché interbancaire reprit rapidement des couleurs, même si la redistribution de cette manne auprès des clientèles fut beaucoup plus lente. Les auteurs adoptent sur ce point un jugement quelque peu restrictif en avançant que les banques centrales n'ont sauvé du désastre de 2008 que les dirigeants politiques et économiques et les investisseurs du monde entier. C'est bien la planète entière qui pouvait alors sombrer dans le plus noir des chaos. Mondialisation et interconnexion des banques n'auraient pas manqué d'aggraver encore le malheureux schéma expérimenté en 1929. Efficacité immédiate certes, mais incapacité ensuite à relancer la croissance, en dehors peut-être des États-Unis, où une reprise de l'activité et de l'emploi a été obtenue, mais plus lente et plus irrégulière que lors des précédentes sorties de crise. On ne peut que rejoindre les auteurs sur ce constat. Encore faut-il s'entendre sur l'origine de cet échec. Les banques centrales avaient prévenu qu'elles pouvaient seulement acheter du temps pour que les pouvoirs publics fassent adopter les nécessaires réformes propres à ranimer la confiance et lever les obstacles à la croissance. En réalité Marie-Paule Virard et Patrick Artus insistent, à juste titre, sur ce dont la reprise de la croissance dépend désormais - une fois la situation de liquidité rétablie et beaucoup moins de la situation du crédit (volume et taux). En période de profonde mutation technologique, la croissance n'obéit plus aux séquences cycliques ordinaires mais aux investissements dans ces nouvelles technologies, à la compétence et à la formation de la population au travail et à la vigueur de la démographie, aux progrès de la productivité et à l'équilibre du partage des revenus.

Or, sur tous ces points et, bien sûr, à des degrés divers selon que l'on regarde à gauche ou à droite de l'océan Atlantique, de nombreuses insuffisances gouvernementales ont malheureusement pu être relevées. La politique durable de taux zéro exonère en effet les pouvoirs publics de la maîtrise de leur endettement.

 

LE RETOUR À LA NORMALE

Les effets pervers de cette extravagante abondance monétaire qui s'est prolongée depuis sont chaque jour un peu plus évidents. La quasi-disparition de l'inflation pour des raisons structurelles a fait perdre le repère habituel des banques centrales et lever l'urgence qui se présentait jadis de ne pas s'attarder sur des politiques trop accommodantes. En réalité, les auteurs insistent, à juste titre, sur la substitution d'une inflation financière sournoise, celle des actifs immobiliers et des marchés, qui n'est pas moins dangereuse que celle mesurée traditionnellement sur les prix à la consommation. C'est probablement l'effet pervers le plus sérieux d'un laxisme monétaire qui s'éternise. On pourrait y ajouter – cela parle aux analystes financiers – l'écrasement de la hiérarchie des taux nécessaire pour distinguer le risque d'un actif à l'autre. Ceci est facteur d'une mauvaise allocation de ressources entre les investissements. Faute d'une coordination internationale entre banques centrales, qui pourrait revenir au FMI, on risque de s'enfoncer dans cette situation addictive conduisant les marchés comme les pouvoirs publics à réclamer toujours plus de liquidités, dont l'efficacité marginale est rapidement décroissante. De quoi se trouver largement désarmé lors d'un prochain accident économique sérieux, toutes cartouches étant déjà tirées par des banques centrales qui auraient perdu de leur crédibilité.

JEAN-PAUL PIERRET
ANALYSTE FINANCIER
Membre de la SFAF et du comité éditorial de la revue Analyse Financière

 

Article initialement publié dans l'édition 59 de la revue Analyse financière (avril-mai-juin 2016)

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PATRICK ARTUS
ÉCONOMISTE CHEZ NATIXIS
Professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre.

MARIE-PAULE VIRARD
JOURNALISTE ECONOMIQUE