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29/11/2018 Analyse

Penser le numérique autrement

Thomas Houy, maître de conférences à Télécom ParisTech, enseignant à Sciences PO, à l'Essec, à l'Ensae et à l'université a publié : « Le demi-tour numérique - Quand le digital oblige les entreprises à innover à l'envers » . Un livre qui a retenu toute notre attention.

Voici un ouvrage intéressant car il incite à réfléchir autrement. Ce livre tombe à point nommé pour nombre de professionnels, quel que soit le secteur d'activité concerné, car les activités numériques, qui avancent à grande foulée dans les entreprises, posent de nombreuses questions d'organisation. Comprendre cette transformation technologique n'est pas aisé car elle revêt un caractère contre-intuitif.

Avec ce livre, l'auteur participe au débat. Ici, il n'est pas question d'implémenter des techniques mais de penser le numérique. L'auteur a construit cet ouvrage comme une démonstration. Il explique pourquoi les entreprises sont amenées à « penser à l'envers ». « Les termes innover à l'envers et à demi-tour sont délibérément choisis. Ils visent à spécifier littéralement le mouvement de bascule totale à opérer par les entreprises pour réussir à innover » peut-on lire dans l'introduction.

Explications. Lorsqu'elles innovent, les entreprises ont souvent tendance à anticiper l'avenir – par exemple anticiper les préférences futures des consommateurs –, ce qui suppose que toutes les choses sont égales par ailleurs. Un tel raisonnement pouvant être défendu dans un environnement stable ne tient plus dans un contexte où toutes les variables (celles du système économique) évoluent très rapidement. Or, la raison pour laquelle cet environnement change est justement directement liée au numérique qui bouleverse les fondamentaux de l'économie (la manière de produire et de consommer dont la structure de la demande et de l'offre pour tous les marchés). Pour illustrer ceci, Thomas Houy cite l'économie collaborative, l'intelligence artificielle, l'impression 3D, les modes de transport autonomes…

En conséquence de quoi, les entreprises doivent nécessairement modifier leur rapport au futur et accepter qu'innover avec le numérique conduit à « innover en négligeant le futur alors même que l'innovation est une promesse sur l'avenir ».

Une fois ce premier constat fait, différents chapitres du livre conduisent le lecteur à analyser la façon dont devrait être pensé le numérique au sein de l'entreprise : en mode effectual et non causal. Plutôt que de définir l'innovation comme un objectif a priori, il convient de ne plus préjuger de ce qu'elle sera, l'entreprise devant avancer au rythme des effets produits par les développements réalisés. Ce qui s'accompagne d'un raccourcissement du temps sur lequel est pensée l'innovation. Ainsi, l'innovation change de statut en devenant la conséquence de tests permanents. Nous sommes ici bien loin des comportements habituellement observés dans les entreprises traditionnelles !

Autre demi-tour pour l'entreprise : l'un des chapitres traite des conséquences de ces nouvelles bonnes pratiques d'innovation sur le comportement des managers. L'innovation se construit désormais autour de l'expérience utilisateur, ce qui a pour effet de mettre le design devant toutes autres considérations, y compris celle de la performance objective des dispositifs.

L'auteur évoque également le mode de management des processus d'innovation : il ne s'agit plus de concevoir des décisions stratégiques de long terme mais d'innover autour d'une ingénierie de la donnée. Il est donc nécessaire d'accepter de savoir que l'on ne sait pas !

Et, bien sûr, Thomas Houy parle de la gestion des ressources humaines, un domaine éminemment impacté : pour aller vite et répondre à de forts impératifs en termes de design, un management de type collaboratif s'impose pour faire travailler rapidement et ensemble des personnes possédant des formations très différentes. Or, si nombre d'entreprises ont saisi cet enjeu, force est de constater que les mises en œuvre demeurent rares.

Michèle Hénaff, rédactrice en chef de la revue Analyse financière
Contact : revue@sfaf.com

Première édition avril 2018 - 85p -  19 €. Version numérique de l'ouvrage : www.ledemitournumerique.com